Les coopérateurs au cœur de l’histoire du mouvement
Après la mise en ligne des archives de la CGSCOP, la Fondation Maison de Salins donne la parole à François Kerfourn, membre fondateur du Club des anciens coopérateurs (CAC) qui fait part de son expérience dans le recueil de témoignages des anciens coopérateurs et la présentation de leur parcours dans l’histoire du mouvement.
François Kerfourn est ancien directeur de l’Union régionale des Scop de l’Ouest, et membre du Club des anciens coopérateurs depuis 2008.
1. Bonjour François Kerfourn, pouvez-vous en quelques mots nous présenter votre parcours
professionnel ?
Comme je l’ai récemment rappelé lors d’une intervention, décrire ma trajectoire scolaire et professionnelle défie toutes les statistiques.
La première partie de ma carrière s’est déroulée dans le milieu agricole, la seconde dans le milieu coopératif. Les deux périodes se sont nourries et ne s’opposent pas.
Durant 20 ans j’ai successivement été animateur syndical (Centre départemental des jeunes agriculteurs) et agriculteur et ma formation de base est acquise par l’éducation populaire (MRJC). La coopération et l’entraide étaient importantes dans le milieu rural.
Un accident professionnel me contraint à la reconversion, et je retourne à l’université étudier le développement agricole et la sociologie rurale, puis la gestion des entreprises de l’économie sociale. J’intègre l’Union régionale des Scop de l’Ouest (délégué en Basse-Normandie) où j’aborde avec les différentes coopératives la question du travail en équipe, de l’animation et du fonctionnement coopératif, de la démocratie. Je n’étais pas un technocrate, j’étais très proche du terrain. Je termine mon parcours comme directeur de l’Union régionale des Scop de l’Ouest, à Rennes.
2. Aujourd’hui, vous êtes un membre actif du Club des anciens coopérateurs, pouvez-vous nous en dire plus ?
Le CAC a été créé en 2008, cela correspond à mon départ en retraite. Il s’agissait avant tout de maintenir les liens entre les anciens coopérateurs et avec le mouvement. Le CAC ce sont des rencontres entre les adhérents, mais c’est aussi le souhait d’aider les Scop en apportant l’expertise des anciens qui se traduit bien plus par des contacts avec le mouvement coopératif que du conseil. Enfin, c’est la volonté d’écrire l’histoire et les expériences du mouvement des Scop.
Le Club des anciens coopérateurs (CAC), association loi 1901, créée en 2008.
Compte en 2019, 170 membres.
L’un de ses objets est :
« De participer à tout travail relatif à l’histoire du mouvement coopératif et à la transmission de l’expérience coopérative, en utilisant tous les supports de communication disponibles. »
>>>> pour aller plus loin : le CAC en quelques mots ; site internet du CAC
3. Quelles formes prennent vos travaux relatifs à l’histoire du mouvement, à la transmission de l’expérience coopérative ?
Nous ne savions pas comment aborder l’histoire du mouvement. C’est après une rencontre annuelle des membres du CAC que le déclic est venu. Les participants s’étaient tous présentés en mettant en valeur la coopération et leurs valeurs de la coopération, et non leurs contraintes d’organisation, de délais de commande, etc. Tout cela était évoqué avec nostalgie et beaucoup d’émotions. Cela a été un déclic. Nous allions recueillir leurs témoignages. Le fil rouge était trouvé.
Il a fallu convaincre les membres du CAC. L’arrivée de Michel Porta – ancien cadre de la CGSCOP – a permis de travailler à un guide méthodologique, puis un calendrier, un questionnaire. Tout le monde a joué le jeu de l’honnêteté et de la transparence pour cette première expérience de recueil de témoignages d’anciens coopérateurs.
Ainsi, en 2012, à l’occasion du Congrès national des Scop qui se tenait à Marseille, est sorti l’ouvrage « Les Scop, nous en sommes fiers ! ».
Nous avons poursuivi avec « Le bonheur est dans la Scop ». Nous sommes allés dans les Scop des coopérateurs interviewés dans le premier livre. Nous avons choisi de raconter les histoires coopératives par le parcours de vie de leurs dirigeants. C’est dans les Scop que l’on trouve les fondations de la coopération. Cet ouvrage permet le montrer, y compris le malaise que l’on peut (aussi) y trouver.
4. Après "Les Scop nous en sommes fiers ! » et « Le bonheur et dans la scop » des recueils de témoignages, vous avez récemment publié avec le CAC « L’histoire des Scop de l’ouest . Pouvez-vous nous en parler ?
Avec Régis Tillay qui m’a accompagné dans cette aventure, nous racontons l’histoire des coopératives de l’Ouest ainsi que de leurs regroupements régionaux, leur place dans le mouvement national, les relations entre les Scop et les leaders coopératifs de l’époque.
L’ouvrage est construit chronologiquement et nous présentons le développement des Scop sur le territoire. Nous traitons également des enjeux actuels de la coopération.
C’est une nouvelle exploration, un long travail dans les archives, mais aussi d’enquête. Jean-François Draperi a rédigé cette préface et salue notre travail de sociologues et d’historiens.
« Deux fils sont tissés, celui des coopératives formant la chaîne et celui de leur union formant la trame, composant ensemble cet étonnant tissu qu’est le mouvement coopératif… c’est l'une des qualités de ce livre remarquable d’être à la fois au plus près du terrain local et des instances régionales, et d’intégrer les évolutions macroéconomiques et politiques. Ce croisement est sans doute le meilleur facteur de compréhension des faits. » J.F. Draperi
5. Sur quelle sources vous êtes-vous appuyé pour vos recherches?
Nous nous sommes appuyés sur des sources variées.
Sollicités par le directeur de l’Union régionale des Scop de l’Ouest qui avait mis la main sur de nombreuses archives à l’occasion d’un déménagement, nous sommes cinq membres du CAC à avoir dépouillé les comptes rendus du conseil d’administration, des assemblées générales, les dossiers de Congrès. La consultation de ces archives « administratives » a permis d’identifier les élus de l’Union régionale, de réaliser des statistiques sur le nombre de Scop, de lister les créations de Scop et Scic … mais uniquement à sur la période 1950-2021.
Nous avons donc poursuivis les recherches dans les archives de la CGSCOP et nous avons découverts dans leurs fonds les archives institutionnelles, mais aussi des revues plus anciennes (notamment avec l’Association ouvrière) ce qui nous a permis de trouver des informations sur le mouvement en Bretagne et notamment sur Morlaix, dans le Finistère, considéré comme le berceau de la coopération de production en Bretagne. Deux Associations ouvrières de production (AOP) y ont vu le jour en 1894 : l’Union des couvreurs, toujours en activité et La Ménagère, une coopérative de consommation.
Regis Tillay est aussi un grand collectionneur et nous avions accès à une importante littérature grise (dont les comptes rendus du premier congrès de l’AOP qui s’est tenu en 1900 pendant l’exposition universelle).
Enfin, nous avons aussi poursuivis nos recherches au CEDIAS-Musée social.
Mais notre travail s’est aussi poursuivi avec les recueils de témoignages.
6. Y a-t-il une originalité de la Bretagne, de l’Ouest dans l’histoire des coopératives ?
En Bretagne, le parcours de l’abbé Bridel, pionnier du syndicalisme chrétien, qui a créé de nombreuses coopératives dans la région de Fougères est intéressant.
Ce prêtre, ordonné en 1904 et nommé vicaire à Fougères en 1909, se consacre à l’amélioration des conditions de vie et de travail des plus démunis. Il crée dès 1913 de nombreux syndicats qu’il réunit au sein d’une Maison des syndicats. Il fonde aussi des coopératives : l’Etoile fougeraise, la Banque coopérative industrielle et agricole, la Cristallerie fougeraise, le foyer fougerais, l’Abeille, etc.
C’est la dynamique des débats entre les mouvements syndicaux, les mouvements de l’église (et notamment du Sillon de Marc Sangnier qui s’est intéressé au mouvement coopératif et qui était bien implanté à Morlaix) qui a créé une émulation, une envie de s’affranchir du patronat et s’émanciper.
En Vendée, les Scop ont été créées par des syndicalistes ou le MRJC, mouvement populaire. Ce n’est pas anodin. On y trouve des personnes qui ont l’habitude de débattre et sans cette culture du débat on ne peut avoir de coopération. On ne peut pas convaincre qu’avec des règles administratives. Ici, l’engagement coopératif est un des signes de réussite des Scop.
7. Plus personnellement, avez-vous eu un coup de cœur pour l'histoire d'une Scop au cours de vos recherches?
Il est difficile de les différencier.
J’ai trouvé très intéressant d’écrire l’histoire de Moulin Roty. Cette Scop a démarré après 1968, portée par des fondateurs qui souhaitaient « travailler ensemble à égalité, en autogestion, sans patron ». A leur première logique autogestionnaire, ils intègrent des règles de méthodologie, de fonctionnement, d’écoute… et créent une Scop en 1981. La vie communautaire est compliquée et le maintien de l’équilibre entre le projet fondateur et les nouvelles contraintes liées à l’évolution de la société créent des débats dans la scop. Ils ont évolué et leur modèle de société également. L’évolution est nécessaire et la question de passer d’un système idéologique à un système plus organisé est intéressante.
>>>> Lire aussi : l’histoire de Moulin-Roty
8. Les forces et les faiblesses du modèle coopératif se dégagent-elles dans l’une ou l’autre de vos ouvrages ?
Dans nos ouvrages, nous retranscrivons sans filtre les témoignages. Nous ne nous limitons pas aux « belles histoires ». Les parcours sont aussi difficiles, jalonnés de difficultés, de tensions, de débats – notamment internes à la CGSCOP.
9. Ces expériences coopératives passées sont-elles aujourd'hui encore une résonnance, notamment en période de crise ?
On peut penser que dans des périodes de crise, la solidarité prend le dessus et les personnes s’entraident et coopèrent entres elles. En Bretagne, le mouvement coopératif s’est fortement développé après la seconde guerre mondiale - en particulier dans le mouvement agricole – et il y aurait probablement une nécessité à revisiter / réanalyser les projets coopératifs parce que la coopération c’est aussi de défendre les activités sur les territoires.
On est dans une spirale positive, je vois dans mon environnement plusieurs personnes intéressées, demandeuses. Les livres écrits sont des vecteurs de promotion de la coopération et on sort du milieu du mouvement pour toucher d’autres personnes.
10. Vous avez rencontré différents gérants/président de scop (créées pour certaines à la fin du 19e, au début du 20e). Quel rapport ont-ils avec leur histoire ?
Ils s’y intéressent, mais n’ont pas de temps à consacrer à leur histoire. Le CAC essaie de susciter des versements d’archives aux services d’archives départementales ou municipales.. Mais leurs archives peuvent aussi avoir été détruites… c’est pour cela qu’il faut aider le coopérateur à parler de son expérience, cela passe par le recueil de témoignages.
Lorsque j’interviens dans des médiathèques, je sollicite toujours des Scop locales. Après ma présentation théorique sur les grands repères historiques, philosophiques, les coopérateurs viennent parler des différentes règles sur les coopératives. Le lien entre le passé et le présent est réalisé par la présence d’un coopérateur.
Les réseaux de l’ESS sont très disponibles pour nous aider dans la transmission du message porté sur le mouvement.
>>>> Lire aussi : une histoire des coopératives ouvrières de production
Bibliographie
Kerfourn, François. Porta, Michel. « Les scop nous en sommes fiers ! ». Paris : Club des anciens coopérateurs, 2012. Témoignage n°21, François Kerfourn « un syndicaliste agricole devenu coach coopératif », pages 177-184.
Kerfourn, François. Tillay, Régis. « La démocratie nous réussit ! Les Scop de l’Ouest de 1884 à nos jours ». Paris : Club des anciens coopérateurs, 2022.
Accéder aux archives de la CGSCOP en ligne sur le portail collections : lien
Nos remerciements chaleureux à François Kerfourn pour sa disponibilité dans la réalisation de cette interview ainsi qu'au Club des anciens coopérateurs qui nous autorisent aimablement à diffuser des extraits de leurs ouvrages.
Interview réalisée en mai 2023